La Martinique ! la fameuse « île aux fleurs » de l’archipel des Petites Antilles, dans les Caraïbes. Vous la connaissez, entre autres, pour Aimé Césaire, le poète et penseur. Vous avez probablement entendu parler du Mont-Pelé, célèbre volcan. Mais enfin, et surtout, vous l’aimez pour son rhum ! Et pas n’importe lequel.

Saviez-vous que la Martinique produit le seul rhum agricole AOC au monde ? La canne à sucre, introduite lors de la colonisation française, est devenue au fil du temps l’épicentre de la culture martiniquaise. Suivez-nous dans notre exploration, et venez découvrir ce qui rend ce rhum agricole de Martinique si spécial.

La plage d’Anse Noire en Martinique

L’histoire du rhum en Martinique

Tout commence par la culture de la canne à sucre, implantée en 1635 lors de la colonisation française. À l’origine, le rhum est découvert presque par hasard, à partir des restes de mélasse.

C’est en 1667 que le Père Du Tertre a l’idée d’en faire une eau-de-vie. Brûlant, nauséabond et âcre en bouche, cet ancêtre du rhum nécessitait d’être un peu retravaillé. Le Père Labat s’y est employé au retour de ses voyages aux Antilles, à la fin du XVIIe siècle. Il propose une adaptation de l’alambic en cuivre, qui prend son nom et séduit les Antilles françaises. On en trouve encore aujourd’hui.

En 1850, la demande de rhum augmente suite à une maladie s’attaquant aux vignobles de France et réduisant, de fait, considérablement la production de Cognac. Pour plus de rentabilité, l’alambic « Père Labat » est progressivement remplacé par des colonnes à distiller en continu, ou « colonnes créoles ». Saint-Pierre, au nord-ouest de l’ile, devient la « capitale mondiale du rhum ».

C’est l’âge d’or du rhum industriel martiniquais.

À la fin du XIXe siècle, une crise du sucre survient lorsque la France métropolitaine favorise le sucre continental d’origine de betterave. La production de sucre de canne adjointe à celle de rhum de mélasse devient alors ruineuse, et les usines expérimentent un nouveau processus de fabrication, en distillant directement le jus de canne frais, ou vesou.

Le rhum agricole est né.

Cannes à sucre fraichement coupées et prêtes à être pressées pour produire le vesou

L’éruption du Mont-Pelé en 1902

Les catastrophes s’enchaînent pour l’industrie rhumière.

L’éruption du Mont-Pelé a des conséquences dramatiques car elle détruit Saint-Pierre et ses rhumeries. Les usines sucrières prennent alors le relais d’une manière spectaculaire, et en 15 ans, la Martinique a restauré sa place de premier exportateur au monde. Juste à temps, puisque la Première Guerre mondiale se profile en Europe, et la demande en rhum explose.

En 1922, l’administration française impose un contingent à l’exportation de rhum et de sucre blanc vers la métropole. En conséquence, les usines sucrières disparaissent progressivement. Puis, lors de la Seconde Guerre mondiale, le commerce est bloqué pendant 4 ans.

À l’issue de ces années destructrices, la culture de la canne à sucre peine à se relever. Le territoire qui dénombrait 456 sucreries n’en compte plus que 14, et 62 distilleries agricoles. Mais alors que le rhum industriel perd ses lettres de noblesse, le rhum agricole, lui, gagne la population locale et se fait remarquer en métropole.

L’AOC en 1996

Dans les années 70, les distilleries connaissent des difficultés de commercialisation. Elles ont pour conséquence la disparition de nombreuses d’entre elles, et une dégradation de la qualité du rhum agricole.

Naît alors l’idée de souscrire au label AOC pour protéger la tradition du rhum martiniquais et lui rendre sa qualité première tout en affichant un prix plus élevé. Mais le défi est de taille.

En 1975 la première tentative n’aboutit pas, pour des raisons techniques. En 1989, la seconde demande passe. Le 5 novembre 1996, le seul et unique rhum au monde à détenir le label est désormais nommé Rhum Agricole AOC de la Martinique.

 

Les spécificités du rhum martiniquais et sa fabrication

Le rhum agricole n’emploie que du jus de canne frais. La majorité des champs sont récoltés à la main ou à la machine. L’irrigation quant à elle doit être naturelle, et donc l’arrosage est limité afin de préserver la qualité de la plante.

Champ de canne à sucre en Martinique lors de la récolte

Le vesou est obtenu par broyage puis pressage des cannes. La fermentation doit être immédiate après la récolte et discontinue dans des cuves ouvertes d’une capacité maximale de 500 hectolitres.

La distillation, elle, se fait dans les fameuses « colonnes créoles », colonnes équipées de 9 à 12 plateaux en fonctionnement continu, dans la plus pure tradition martiniquaise.

C’est à ce stade que se distinguent les 3 catégories de rhum agricole.

  • Le rhum blanc repose trois mois seulement en cuve. Translucide, il aura en bouche un goût de canne fraîche. On le retrouve notamment dans le ti-punch.
  • Le rhum élevé sous bois (ESB) ou « Rhum Paille » repose 12 mois en foudre de chêne. Il offrira un caractère plus prononcé et une jolie couleur jaune paille.
  • Le rhum vieux sera élevé au moins 3 ans en fûts de chêne.

Rhums blanc, élevé sous bois et brun

Sur le marché, tout rhum dit « de Martinique » doit avoir, au minimum, 40% vol.

Les Rhums Vieux sont classifiés selon leur âge : ainsi, les Very Old (VO) auront vieilli 3 ans en fûts de chêne. Les Very Special Old Pale (VSOP) ou Cuvée Spéciale y restent 4 ans ou plus. Les Extra Old (XO), Hors d’Âge ou Millésimes vieillissent au moins 6 ans.

Les 7 distilleries martiniquaises encore actives, leurs spécificités et leurs marques de rhum

Il existe encore 7 distilleries dites « fumantes » en Martinique qui produisent les 12 marques de rhum martiniquais commercialisées. Au Nord de l’île, vous trouverez les distilleries Depaz, JM, Neisson et Saint-James (distille également les rhums Bally et Hardy). Au Sud, Simon (distille également les rhums Clément et HSE) et La Mauny (disille également Trois-Rivières) ont regroupé nombre d’enseignes de qualité, de même que Saint-James au Nord. Et, seule au centre, se situe la distillerie La Favorite.

Distillerie Depaz

À l’origine il s’agissait de l’Habitation La Montagne, une plantation près de Saint-Pierre créée en 1651 par le premier gouverneur de l’île, Jacques Duparquet. La demeure a disparu ainsi que la famille qui l’occupait au moment de l’éruption du Mont-Pelé en 1902. C’est Victor Depaz, alors à la métropole, qui reprend l’affaire des années plus tard et fonde l’une des grandes traditions du rhum agricole d’aujourd’hui.

La distillerie Depaz propose entre autres une pépite d’originalité et de goût : le Depaz finition fûts de Porto, qui lui confère des arômes de fruits confits et de figue.

Distillerie JM

À l’origine c’était une plantation sucrière, installée en 1790 au pied de la montagne, entre deux rivières. Rachetée en 1845 par Jean-Marie Martin qui la transforme en distillerie, elle produit des rhums estampillés « JM » qui connaissent un grand succès à Saint-Pierre.

Considérée depuis comme détentrice d’un savoir-faire d’excellence, la distillerie JM est renommée pour ses rhums vieux. Leur particularité tient aux fûts de chêne, dont certains sont de provenance américaine et ont contenu autrefois du bourbon.

Parmi les pépites de leur cave, fournie en matière de rhums vieux, vous trouverez des 9 et 15 ans d’âge, mais aussi des rhums « JM Atelier » : le Fumée Volcanique, puissant et onctueux, ou le Jardin Fruité, épicé et gourmand.

La distillerie JM

 

Distillerie Neisson

En 1931, les frères Neisson achètent l’Habitation Thieubart au Carbet, près de Saint-Pierre. La distillerie est restée dans la famille jusqu’à aujourd’hui. Non contente d’avoir fait partie des premières labellisées en 1996, elle est également inscrite dans l’agriculture biologique.

En 2022, pour ses 90 ans, la distillerie Neisson propose La Nonaginta, assemblage de millésimes 2004, 2000 et 1997. On dit qu’à la dégustation se révèlent, tout en naturel, les différentes époques de l’histoire de la maison Neisson.

Distillerie Saint-James

En 1765, l’Habitation du « Trou Vaillant » commercialise des flasques « Rhum Saint James ». Lorsque Paulin Lambert rachète le domaine en 1882, l’appellation devient une marque remarquée grâce à sa célèbre bouteille carrée à fond plat. Du premier millésime en 1885, quelques rares exemplaires sont encore conservés dans la cave de la distillerie.

Parmi les bouteilles d’exception de la distillerie Saint-James, citons seulement celle-ci : le Brut de Fût 2003. Son caractère riche et complexe vient de son vieillissement de 14 ans en fûts de chêne neufs et en fûts roux ex-Bourbon.

Aujourd’hui, Saint-James distille également les rhums Bally depuis 1976, ainsi qu’Hardy depuis 1993 lorsque la distillerie éponyme ferma ses portes.

Distillerie La Favorite

Située au centre de l’île, la distillerie La Favorite appartient à la famille Dormoy depuis 1905. Elle est connue pour ses processus de fabrication au plus près de la tradition. On y pratique la coupe de la canne à la main, au coutelas. Cela améliore ainsi la repousse de la plante, dont les racines sont moins abîmées. Elle serait aussi plus fraîche et de meilleure qualité.

La Favorite élève ses rhums dans des fûts de chêne qui contenaient autrefois des cognacs ou whiskys, ce qui leur confère une puissance inégalée.

Distillerie La Mauny

Continuons notre traversée de l’île et descendons au Sud jusqu’à la distillerie La Mauny, qui est née d’une histoire romantique au XVIIIe siècle.

Ferdinand Poulain, comte de Mauny et conseiller du Roi, débarque en Martinique et tombe amoureux de la fille d’un planteur. Celui-ci possède alors un domaine qui sera renommé La Mauny au moment du mariage. La sucrerie devient distillerie en 1820 et propose aujourd’hui un rhum agricole extraordinaire, lauréat de nombreux concours internationaux.

Maison La Mauny depuis 2015, la distillerie cumule depuis toujours un grand nombre de médailles. Un de ses produits phares, c’est le Nouveau Monde, un assemblage de 4 très vieux rhums agricoles, dont le plus vieux date de 1979.

La Mauny distille également les rhums Trois-Rivières après la fermeture de la distillerie en 2004. Les rhums Trois-Rivières sont encore distillés dans les 2 alambics colonnes d’origine qui ont été repris par La Mauny.

Distillerie Le Simon

L’Habitation du Simon date de 1847, d’abord comme sucrerie puis distillerie. Dans les années 90, le directeur, Yves Hayot, rachète la distillerie Clément, qui cesse son activité en 1988 pour être transférée à Le Simon, et la distillerie HSE, rachetée en 1994 et dont la production est également transférée à Le Simon. Ceci permet, ainsi, à ces trois grandes marques du rhum agricole de perdurer au sein de la distillerie Le Simon.

Chez Clément, la Cuvée Homère est constituée d’un assemblage de vieux rhums d’au moins 6 ans d’âge.

Chez HSE, vous trouverez notamment un excellent Rhum agricole XO Grande Réserve. Il est issu d’une sélection de millésimes datant, pour certains, de 1960.

Stock de vieux rhums Clément en cours de vieillissement

Conclusion

Depuis l’obtention du label AOC, le rhum agricole de la Martinique semble avoir un bel avenir devant lui. Représenté par des maisons d’exception et revendiqué par la population martiniquaise, le spiritueux est la première valeur d’exportation de Martinique, et l’un de ses principaux ancrages culturels.

Aujourd’hui, face à la concurrence, l’île s’ouvre au « spiritourisme », un tourisme axé sur le rhum agricole, pour transmettre cette culture et ce savoir-faire au plus grand nombre. Une façon de mettre davantage de lumière sur une histoire extraordinaire.